Conseils aux développeurs indépendants à la Game Connection
- Par
- Le 06/11/2015
- Dans Événements
Entre Development Awards et moult meetings entre professionnels, la Game Connection 2015 était aussi l'occasion pour les indépendants d'obtenir quelques conseils pour survivre dans l'industrie.
Événement B2B réunissant les professionnels de l'industrie du Jeu vidéo, la Game Connection propose entre autres quelques conférences destinées à transmettre conseils et expérience aux personnes participant à l'événement.
Cette année, le salon a notamment accueilli trois conférences pensées pour offrir de précieux conseils aux studios indépendants, peu importe leurs objectifs. On a ainsi pu découvrir en premier lieu la keynote de Chris Charla (directeur du programme ID@Xbox), intitulée Maximising Success for Independant Developers in Today's Market et tentant d'offrir un aperçu complet des meilleures manières de lancer ses propres productions en tant que développeur indépendant. Un peu plus tard, Martine Spaans (business development chez FGL, un fournisseur de services à destination des indépendants) animait un panel de discussion intitulé Closing the gap between indie developers and corporate publishers, s'intéressant aux liens entre studios de développement et éditeurs dans le cadre de la publication du jeu indépendant. Enfin, dans un autre panel de discussion animé par Bill Anker (consultant indépendant) et intitulé Work with Large Publishers: dream or reality?, on a pu entendre l'avis de différents professionnels une fois encore sur les liens entre studios et éditeurs, mais cette fois-ci plus dans le cadre d'un travail sous-traitance.
Par ces trois conférences d'une heure, l'événement B2B qui s'est tenu la semaine dernière à Paris a permis à une dizaine d'experts de donner leurs conseils et avis à la petite trentaine de développeurs qui ont fait le déplacement vers la salle où elles se tenaient.
Rester réaliste vis-à-vis de ses propres productions
De part et d'autre, tous les intervenants semblent s'accorder sur une vision désillusionnée de la création indépendante. Oui, travailler sur ses propres créations, en laissant libre court à son imagination est un rêve que partagent probablement la plupart des développeurs, mais la dure réalité reste qu'un studio indépendant est une entreprise et nécessite donc de dégager une certaine rentabilité. Les fondamentaux pour créer de bons jeux ne changent pas : les joueurs veulent de la nouveauté, un bon gameplay et une bonne histoire, nous explique en substance Chris Charla. Mais aussitôt après, le directeur d'ID@Xbox semble rappeler que le mieux est l'ennemi du bien en refrénant les ardeurs de ceux qui seraient dotés d'une créativité plus grande que ce qu'ils peuvent se permettre. Ne pas être trop ambitieux et connaître ses limites sont des idées qui reviennent chez tous les participants des trois conférences.
D'une manière générale, il est donc préférable pour les indépendants de ne pas oublier l'aspect entrepreneurial de leur travail, même si cet aspect n'est certainement pas des plus intéressants comparé à la création elle-même, qui reste la raison pour laquelle nombre de développeurs ont choisi ce métier. Dans cette optique, il ne faut donc pas oublier d'aborder le raisonnement qui va avec, lors de la conceptualisation de ce qui sera plus tard un produit ; il faut donc s'intéresser aux futurs consommateurs. À ce sujet, Christina Seelye (CEO de l'éditeur Maximum Games) explique lors du panel Closing the gap between indie developers and corporate publishers que "c'est le genre [auquel appartient le jeu] qui fait l'audience" : un genre suppose une audience particulière que l'on doit prendre en compte. Ainsi, lors du choix entre un genre de jeu et un autre, il ne faudra pas oublier à quelle clientèle-cible vous souhaitez vous adresser. Chercher les tendances du moment, pour éventuellement les suivre, est également un moyen de s'assurer un succès financier, selon Charla. Toutefois, l'originalité restant toujours une donnée primordiale, ce dernier n'oublie pas d'inciter les indés à rester libres d'ignorer le marché à partir du moment où ceux-ci sont sûrs de ce qu'ils font.
De même, à moins une fois encore de savoir précisément ce que vous faites, les jeux épisodiques seront à éviter, comme le conseillent Bob Loya (directeur senior des acquisitions et relations développeurs chez Activision-Blizzard) et Tim Campbell (vice-président et membre du conseil d'administration de Gameforge) lors du panel Work with Large Publishers: dream or reality?. Tout deux s'accordent sur la très grande difficulté de ce genre de projet : cela suppose d'une part une grande quantité de travail et donc une équipe très importante pour assumer cette dernière, et d'autre part de poursuivre la production sur le long terme. Si l'on ne publie pas régulièrement de nouveaux épisodes, on prend le risque que les joueurs se lassent et cessent de jouer. Les deux éditeurs décrivent ce type de jeu comme un chemin déjà difficile à suivre pour n'importe quelle entreprise du Jeu vidéo, et donc un chemin probablement trop ambitieux pour la plupart des studios indépendants qui n'ont pas les moyens de faire face à une telle masse et un tel rythme de travail.
Toujours en termes de quantité de travail, mais sous un angle plus général, Chris Charla met en garde les développeurs voulant faire au-delà de leurs capacités : "'possible' et 'bonne idée' ne sont pas toujours la même chose", explique-t-il, "Soyez réalistes quant à votre vitesse de développement". Des propos qui trouveront écho dans les voix de Christina Seelye et Sam Kim (VP Production chez l'éditeur EN Masse Entertainment), lorsqu'ils exposent l'erreur fréquente des indépendants qui est de rester focalisés sur ce qu'ils souhaitent mettre dans leurs jeux et d'en oublier ce qui est réaliste en termes de temps. Ils renforcent leurs propos en rappelant que le développement d'un jeu représente toujours plus de temps et d'argent que ce qui était initialement prévu.
Stratégies de financement et de publication
Une fois votre concept de jeu trouvé, le financement et la publication de votre projet est, en plus d'être la problématique suivante, celle qui constituera le principal obstacle pour une grande partie des studios indépendants. Que ce soit en termes de financement ou de publication, on pourra distinguer trois grands types de démarches : l'utilisation de fonds entièrement privés (fonds personnels, famille/amis, ou à l'aide d'un généreux mécène si vous avez cette chance rarissime), l'appel au consommateur (crowdfunding, early access) ou l'aide d'un éditeur, pour ce qui est du financement ; et d'une manière assez proche, distribuer son jeu directement au consommateur, s'auto-publier sur une plate-forme ou, là encore, se faire aider d'un éditeur, pour la publication de son jeu.
L'auto-financement et la distribution directement au joueur resteront des techniques risquées, difficiles et très rarement utilisées et sur lesquelles les participants des trois conférences ne s'attarderont finalement pas. Pour ce qui est de Kickstarter et compagnie, Charla préférera mettre en garde les développeurs face à une plus forte pression, tant sur le fait de convaincre que sur celui de respecter les délais : le crowdfunding suppose que des milliers de personnes attendent le jeu et investissent, contrairement à un contrat avec un nombre limité de personnes. Et bien-sûr, il s'agira de ne pas oublier que d'autres plates-formes de crowdfunding existent, avec des populations d'utilisateurs très différentes : une donnée à prendre en compte, car un jeu peut fonctionner sur une plate-forme et ne pas avoir de succès sur une autre.
Ensuite, publier soi-même son jeu sur une plate-forme suppose parfois aussi de gérer soi-même la promotion de son titre. Dans ce cas, la promotion devrait se faire en priorité par Facebook, les magazines et sites web, son propre blog, puis par les autres réseaux sociaux et votre propre chaîne Youtube ou de streaming. Charla conseille également de porter une grande attention autour de la période de sortie, d'une importance critique selon lui : "un mauvais lancement peut condamner un excellent jeu". Une stratégie à première vue efficace pourrait être de programmer cette sortie en même temps que celle d'un jeu AAA, afin d'aspirer tous les joueurs qui n'aimeraient pas ce dernier. Néanmoins, le directeur d'ID@Xbox fait remarquer avec justesse que, de toute manière, le bruit médiatique de ce jeu AAA couvrira votre communication et ruinera la sortie de votre titre : une idée à éviter absolument, donc.
Finalement, se faire financer et publier par un éditeur reste sur certains points une solution plus simple et qui, si l'on passe outre le fait que ce dernier puisse avoir un droit de regard sur le développement du jeu, pourrait permettre aux développeurs indépendants de se re-concentrer sur leur travail de création. En effet, les fonds ne sont pas la chose la plus importante qu'un éditeur puisse offrir à un studio indépendant, comme l'explique Steve Escalante (directeur général de l'éditeur Versus Evil) qui aime dire qu'il propose aux indépendants non pas de l'argent, mais du temps. Car c'est bien de temps que ces derniers ont besoin, notamment avec la couverture médiatique très chronophage d'un jeu, supposant de nombreuses prises de contact ou la réalisation de screenshots et de trailers. En prenant en charge la promotion du titre, les éditeurs soulagent les studios de tout le travail ne relevant pas de la création pure, selon Escalante : une vision de ce type de relation assez belle, mais peut-être un peu idéaliste ...
Si tel est le choix que vous avez en tête, la première étape reste de bien choisir l'éditeur auquel vous vous adressez et la plate-forme de jeu que cela suppose. D'une part, on rejoint l'idée évoquée plus tôt de prendre en compte l'audience que l'on vise et d'autre part, comme évoqué par Christi Freeman (COO du studio indépendant Fog Studios), vous ne disposez que d'une chance pour vendre votre jeu. Il s'agit donc de ne pas se tromper d'éditeur, mais aussi de présenter au mieux son jeu : une chose qui, paradoxalement, ne devrait être fait qu'une fois le travail sur le titre suffisamment avancé. En effet, l'éditeur étant lui-aussi une entreprise, il n'est pas là pour jouer le rôle de mécène, mais pour dénicher un jeu capable de se vendre. C'est donc cela qu'il faudra présenter à l'éditeur convoité : un jeu ayant un certain potentiel économique ou d'attrait des joueurs. C'est pourquoi Rob Letts (producteur exécutif chez EA Partners) insiste sur l'idée que pour proposer une nouvelle IP à un éditeur, il reste préférable d'avoir au préalable un concept dont l'idée est déjà avancée et travaillée. Steve Escalante complète en suggérant aux développeurs partant à la recherche d'un éditeur, afin de lui présenter son idée de jeu, de réfléchir en premier lieu aux différentes manières d'exploiter son potentiel : c'est ce que l'éditeur recherche.
Les non-dits de la collaboration avec de gros éditeurs
Mais peu importe les projets que vous avez pour votre studio : rester sur vos propres productions en solo ou en étant publié par un éditeur, voire travailler en sous-traitance pour lui, Bob Loya insiste sur l'importance de montrer votre travail et de communiquer sur ce que vous faites. Il ne s'agit pas seulement de vendre vos jeux par des campagnes marketing, mais aussi de se faire connaître auprès des éditeurs pour faciliter d'éventuels partenariats futurs : lorsqu'un éditeur recherche un partenaire pour un projet, il fera son choix sur celui dont le travail passé semble le plus se rapprocher de l'idée du projet. Cela reste important même si vous ne prévoyez pas de travailler dans ce type de partenariat, pour conserver une porte de sortie : on ne sait jamais ce que réserve l'avenir et n'importe quelle difficulté financière pourrait vous forcer à changer de politique pour faire survivre votre studio. Malheureusement, d'après Loya, rares sont les studios parvenant à rester éternellement sur leurs propres productions.
Alors, supposons : vous vous trouvez dans une situation vous forçant à accepter un partenariat avec un éditeur, à quelle ambiance de travail devez-vous vous attendre, quelles relations vont se mettre en place durant votre collaboration ? Tim Campbell insiste sur l'idée de responsabilité mutuelle : un partenariat entre éditeur et studio indépendant suppose, selon ses propos, une grande confiance. Une idée illustrée par Christi Freeman, pour qui "un bon partenariat, c'est un peu comme un mariage". Les intervenants mettent ainsi en avant l'idée que les deux parties ont des devoirs l'une envers l'autre, mais laissent supposer un respect mutuel, voire l'idée de marcher main dans la main.
Néanmoins, durant la dernière des trois conférences, lorsque Bill Anker aborde l'idée répandue selon laquelle les développeurs gagneraient tout juste de quoi se maintenir à flot tandis que les éditeurs sortiraient plutôt gagnants de ce genre de partenariat, un rire jaune parcourt immédiatement les quatre panélistes. Ce n'est qu'après quelques secondes d'une gêne envahissant ces derniers que Rob Letts se défend en expliquant que les studios partenaires d'EA sont très satisfaits de leur travail, avant de tenter de conforter son affirmation par un "demandez-leur". Tim Campbell, Bob Loya et Christi Freeman tenteront de minimiser la question en expliquant que "C'est du business : on doit être rentables [...] C'est difficile pour eux, mais on ne cherche pas à leur cacher la vérité lors de la signature du contrat" ou, si l'on se place du point de vue des développeurs, que "Un contrat, c'est du travail. C'est difficile, mais on sait ce qui nous attend" : des réponses courtes et un regard suppliant, semblant demander à l'animateur de changer de sujet. L'hypothétique exploitation des studios partenaires par les éditeurs est visiblement une question tabou que les quatre panélistes auront finalement préféré esquiver.
Finalement, les intervenants des trois conférences semblent s'accorder sur une idée bien précise, s'appliquant à tous les studios indépendants quels qu'ils soient : ne pas se laisser berner par des rêves difficilement réalisables. Ils semblent dire que la grande faiblesse de ces studios serait d'oublier trop facilement qu'ils sont une entreprise et doivent en conséquence adopter une posture de producteur cherchant à attirer des clients.
Mais cette vision de la production indépendante n'est-elle pas également influencée par la position des conférenciers et panélistes ? Mise à part Christi Freeman, l'essentiel de ces personnes venues parler devant leur public était constitué de professionnels travaillant pour des éditeurs. Alors, certes, il est important de ne pas oublier cet aspect entrepreneurial lorsque l'on est un développeur indépendant : il en va de l'existence même du studio. Mais que dire des éditeurs oubliant l'aspect créatif ? Après tout, les intervenants sont en partie issus d'éditeurs connus pour leurs blockbusters à succès mais à faible valeur culturelle et artistique. Ils semblent penser -à raison- qu'il n'est pas possible pour un studio de créer sans chercher à vendre, mais ne se posent pas la question de savoir si cela vaut la peine de vendre si l'on ne cherche plus à créer.
Nous sommes dans une industrie culturelle : une forme très particulière d'économie qui suppose de conjuguer les antagonistes que sont productivité et créativité. La démarche est complexe et toujours hautement risquée sous ces deux aspects. On ne peut se contenter d'un seul son de cloche, et on regrette simplement que la Game Connection ne nous ait pas offert de conférences menées par des développeurs ayant, par exemple, réussi à vendre leurs jeux malgré un objectif initial entièrement tourné vers la créativité.